Retrouvez l'interview publiée dans le Point de cette semaine. Quelques jours avant la sortie de mon prochain livre, je livre sans langue de bois mon sentiment et mes convictions sur l'avenir de la gauche et de notre pays.
Le Point : Près d’un an après son échec à l’élection présidentielle, le Parti socialiste semble aller mieux. Pourquoi l’attaquer à nouveau avec ce livre ?
Manuel Valls : Je n’attaque pas le PS, je veux le refonder, car l’idée socialiste est en partie morte. C’est la thèse du livre : le vieux socialisme, celui qui a imprégné la gauche française pendant des décennies, est épuisé. Il faut inventer autre chose. Tout le monde sait que nous avons gagné les municipales sur le rejet de Nicolas Sarkozy. Nous n’allons pas mieux, et si ce succès électoral nous endort nous serons encore plus « malades » qu’auparavant. La gauche doit remettre à jour tous ses logiciels, qu’ils concernent la société, l’individu ou la mondialisation. Nous avons été humiliés électoralement l’an dernier pour ne pas l’avoir fait. Et nous perdrons inéluctablement toutes les élections nationales si nous continuons à nous bercer d’illusions.
Vous allez encore vous attirer les foudres de vos petits camarades !
Je ne crois pas. Tous les électeurs de gauche savent que nous devons changer ! Moi, je veux aider à concilier la gauche avec la pensée libérale. Mais il faut avoir le courage de renoncer au confort intellectuel et aux petites démagogies. Je dis dans le livre qu’il faut par exemple accepter de travailler plus et plus longtemps pour sauver le système de retraite. Aujourd’hui, il est plus important de prendre en compte la pénibilité du travail que de s’arc-bouter sur le chiffre fétiche des quarante annuités. Je n’ai aucun problème à l’assumer. Mais, au PS, on n’a pas fait assez d’efforts intellectuels. Toute transgression est donc vécue comme un drame ou comme un changement de rive.
D’où les critiques contre Manuel Valls, suppôt de la droite au PS ?
Ce sont des catégories enfantines. Réinventer la protection sociale pour la France et le monde, c’est au contraire être de gauche ! Mon souci, c’est d’intégrer la gauche à son époque, pas de célébrer le culte du vieux socialisme.
Si on vous qualifie de « Sarko de gauche », vous prenez ?
Si c’est un jeu pour me droitiser, ce n’est pas digne ! Nicolas Sarkozy, j’ai refusé de le rejoindre quand il me l’a proposé. Et je veux le battre en poussant le Parti socialiste à accepter la réalité. Maintenant, si être un « Sarko de gauche » c’est faire, pour ma famille, le travail qu’a accompli Sarkozy pour la droite entre 2002 et 2007, alors oui, j’accepte la comparaison. Aujourd’hui, le président de la République patine, improvise et déçoit, mais, auparavant, il a reconstruit la droite, lui a redonné une structure et un discours. Exactement ce dont nous avons besoin à gauche. J’ai décidé de m’affranchir de toutes les précautions inutiles, de n’être retenu par aucun tabou quand il s’agit d’exprimer ce que je crois juste et utile. Si je le peux, j’irai au bout de cette démarche.
Jusqu’à la plus haute fonction, celle qu’occupe Nicolas Sarkozy ?
Oui, je fais partie de ces socialistes qui pourraient, si le parti se refonde, être candidat aux plus hautes fonctions, pour reprendre votre expression. Ce n’est pas d’une actualité immédiate. J’ai du temps devant moi. Mais bien sûr que cette option existe dans ma tête, parce que j’aime mon pays. Et, tout aussi évidemment, elle ne prendra corps que si j’arrive à convaincre la gauche de faire sa révolution.
En attendant, vous semblez isolé au sein du PS ?
Dans le besoin de rénovation ? Dans la conscience des blocages ? Je ne crois pas. D’ailleurs, on verra bien si je le suis dans quelques mois, lors du congrès du Parti socialiste.
Vous êtes candidat au poste de premier secrétaire ?
Non, ce n’est pas dans mon agenda. Je mène un combat politique et idéologique pour transformer la gauche. Cela ne se joue pas sur un congrès ou sur l’élection d’un responsable. Cela ne veut pas dire que je néglige cette échéance : je m’y exprimerai pour convaincre, pour fonder un courant de pensée, voire un courant politique au sein du PS. Je n’ai aucune vocation à être le supplétif de quiconque.
Justement : votre attitude vis-à-vis de Ségolène Royal est ambiguë. Vous participez à ses conseils politiques tout en la critiquant vertement dans votre livre.
Il n’y a aucune ambiguïté. Contrairement à beaucoup, je respecte Ségolène Royal. Et respecter quelqu’un, c’est surtout dire ce que l’on pense. Ségolène Royal a été la candidate mal préparée d’un parti qui n’avait pas fait sa mue idéologique. J’ai apprécié sa volonté de rupture, j’ai moins aimé d’autres aspects de son discours, notamment sur les OGM ou le nucléaire. Mais je soutiens sa volonté d’opérer une synthèse entre la gauche et le libéralisme. Aujourd’hui, elle doit travailler, comme nous tous. J’ai signé son « appel aux idées des militants » parce que c’est la bonne méthode pour préparer le congrès. Cela ne vaut ni alliance ni allégeance.
Donc, vous croyez encore en elle ?
Je crois en sa force de caractère. Mais, spontanément, je pense qu’une nouvelle donne idéologique implique aussi de nouveaux leaders et une nouvelle génération. Ségolène Royal ou Bertrand Delanoë devront d’abord dire ce qu’ils veulent pour nous rénover profondément. La gauche gagnera si elle produit un effort intellectuel massif, comme l’ont fait les démocrates américains dans les années 80 ou les travaillistes britanniques dans les années 90. Nous ne gagnerons pas en 2012 sur le seul rejet de Nicolas Sarkozy.
Vaste chantier auquel vous vous attelez !
Je veux convaincre la gauche qu’elle doit être digne de son histoire. Pour cela, elle doit rompre avec son passé. Ce n’est pas un hasard si je conclus mon livre en comparant Jean Jaurès et Georges Clemenceau. Tous deux étaient des idéalistes. Mais, si Jaurès savait évoquer des « palais de féerie », Clemenceau se voyait plutôt dans le rôle du « modeste ouvrier des cathédrales, qui apporte obscurément sa pierre à l’édifice auguste qu’il ne verra jamais ». Malgré tout le respect que j’ai pour la figure du député de Carmaux, j’assume aujourd’hui ma préférence pour le Tigre.