« Sud Ouest Dimanche ». 69 % des sympathisants socialistes souhaitent la constitution d'un grand parti de gauche. En faites-vous partie ?
Manuel Valls. Je fais partie de ceux qui considèrent qu'il est temps, peut-être à partir des anciennes formations de gauche, de créer une nouvelle formation progressiste qui soit capable d'offrir un nouveau projet à la gauche et aux Français.
Il faut créer un grand parti de gauche, transcender les frontières entre PS et PC qui sont dépassées. Pourquoi pas d'ailleurs l'appellation « Parti de gauche » ou « Mouvement de la gauche » ? Mais soyons prudents ! Il ne suffit pas d'être dans une maison commune ; il faut partager le même projet.
Vous souhaitez que le PS change de nom ?
Je l'avais déjà proposé il y a deux ans... Je constate aujourd'hui que cette question n'est plus taboue. Il faut transformer de fond en comble le fonctionnement du PS, nous dépasser, il faut tout changer : le nom, parce que le mot socialisme est sans doute dépassé, il renvoie à des conceptions du XIXe siècle.
Il faut aussi se poser la question du mot « parti » qui nous enferme dans quelque chose d'étroit ; mieux vaudrait un « mouvement » et donner un contenu très fort au mot « gauche » dans lequel les gens se reconnaissent.
Quel contenu ? Quelles propositions concrètes ?
Il faut que la gauche opère une véritable révolution intellectuelle, sur l'école, sur les retraites, sur l'entreprise, sur l'écologie et la ville. La gauche doit faire des choix pour dégager des solutions crédibles. Nous n'éviterons pas l'allongement de la durée des cotisations, et peut-être le recul de l'âge du départ à la retraite. Plutôt que d'attendre d'être au pied du mur, imaginons des réponses de gauche, avec un système de retraites par points. Sur l'école, où tout n'est pas qu'une question de moyens, sur la sécurité, sur le nucléaire... sur tous les points, il faut qu'on tranche !
Le score des écologistes aux européennes traduit-il plutôt un vote sanction contre le PS ou repose-t-il sur leur projet ?
Nos concitoyens demandent à la fois de la sécurité et de la liberté, de la protection et de l'épanouissement. L'État providence, longtemps porté par la social-démocratie, se heurte aujourd'hui à l'individualisme et à la forte demande d'autorité et de sécurité. Sans oublier les préoccupations quant à l'avenir de la planète.
Les références aux grandes figures du passé, c'est bien, mais il faudrait être plus attentif, par exemple, au livre et au film d'Al Gore sur le réchauffement climatique. L'électorat de gauche a donc voulu exprimer ces préoccupations, tout en portant un regard sévère sur nous. En outre, les écologistes donnaient le sentiment de croire à ce qu'ils disaient ; eux ne se sont pas trompés de campagne...
Le discours de Martine Aubry, mardi, devant le conseil national, vous a-t-il satisfait ?
Je comprends ses difficultés, mais ce discours n'était pas à la hauteur de l'enjeu.
Personne n'a demandé qu'elle parte, parce que nous n'allons pas ajouter de la crise à la crise, mais sa responsabilité historique est de se mettre à la hauteur de l'événement et de bousculer.
Par exemple ?
Je souhaite un grand congrès fondateur d'ici quelques mois, avec une équipe restreinte et neuve qui aurait tous les pouvoirs pour mener le processus et discuter avec les autres partis de gauche. Il faut aussi ouvrir une discussion avec le Modem, avec la société, les associations, les syndicats, le monde de l'entreprise aussi. La gauche doit avoir une réflexion sur l'entreprise, qui crée de la richesse et n'est pas un adversaire. Il y a des milliers d'entrepreneurs qui peuvent porter des valeurs de gauche.
Êtes-vous partisan de grandes primaires ?
Oui. Il faut organiser des primaires populaires, ouvertes à des millions d'électeurs, pour désigner notre candidat à l'élection présidentielle. Nous sommes un parti de la IVe République avec tous ses défauts, sans les avantages de la Ve. Regardez les présidents successifs de la Ve République : tous ont été élus après avoir bâti un parti.
Vous pensez être entendu ? Et si vous ne l'êtes pas ?
Si Martine Aubry n'annonce pas la semaine prochaine des propositions ambitieuses, il nous faudra prendre des initiatives.
Alors que l'on reparle d'ouverture à l'approche du remaniement, n'est-il pas tentant pour une génération sacrifiée comme la vôtre d'entrer au gouvernement ?
Je ne me considère pas comme faisant partie d'une génération sacrifiée. D'abord parce que ce sont souvent les Français qui sont sacrifiés, soit à cause de la crise, soit en raison de l'attitude des responsables politiques. Quand on est maire, député, qu'on a la chance de s'exprimer dans les médias, on ne se plaint pas.
Moi, je considère que la gauche peut gagner en 2012, si elle fait des choix dès maintenant. Tony Blair a révolutionné le Parti travailliste en trois ans et il a gagné. Nous pouvons accomplir le même chemin si nous sommes vraiment déterminés.
Ma mission, qui ne saurait être solitaire mais se situer au contraire dans un mouvement collectif, c'est de rebâtir la gauche. Les Français n'attendent pas de nous un antisarkozysme primaire, mais qu'on leur propose une alternative réaliste. Je suis pour une opposition intelligente. Il est très important pour la démocratie qu'il y ait une droite et une gauche qui se parlent mais font des choix clairs.