Manuel Valls, en tant que député socialiste de l'Essonne, vous avez assisté au discours de Nicolas Sarkozy devant le Congrès. Le président de la République exclut le recours à la "rigueur". Cela vous parait-il possible ?
En réalité, le débat sur la rigueur est dépassé. Les Français subissent la crise de plein fouet et je crains que les déficits publics ne finissent par exploser à la face du pays. Alors qu'il est désormais admis par Eric Woerth, le ministre du budget, que le déficit public atteindra de 7 à 8 % du produit intérieur brut, je suis frappé par le flou des propositions qu'avance Nicolas Sarkozy pour sortir de cette situation. Je ne vois pas quelle perspective le président de la République cherche à tracer alors que la France, qui a depuis très longtemps laissé filer les déficits, se trouve aujourd'hui au pied du mur faute d'avoir procédé aux réformes de structures qui s'imposaient. On sait déjà que, pour l'Etat, les recettes de 2009 seront à peu près les mêmes que celles de 1999. Quant à la baisse de 19,6 % à 5,5 % de la TVA dans la restauration au 1er juillet, elle va coûter 1,2 milliard d'euros en 2009, et la réforme de la taxe professionnelle représente une perte de 8 milliards d'euros.
Comment la gauche devrait-elle répondre à cette situation ?
Compte tenu du niveau atteint par notre taux de prélèvements obligatoires, je plaide pour une vraie réforme de la fiscalité. La gauche doit dire la vérité aux Français. Il lui faut porter des réformes profondes mais justes pour assurer l'avenir des retraites, mettre en oeuvre un financement public et privé de la dépendance, moderniser l'hôpital et assurer les grandes dépenses d'investissement que sont l'école, la formation et l'innovation. Sur chacun de ces sujets, il faut imaginer des réponses de gauche, différentes de celles de Nicolas Sarkozy, sans nier la réalité que représente l'allongement de l'espérance de vie ou l'ampleur des déficits publics et sociaux.
En parallèle, nous devrons créer les conditions d'une autre répartition des richesses, notamment par la refonte de la fiscalité locale et en créant les conditions d'un rééquilibrage entre revenus du travail et du capital. Il est évident que l'on ne répondra pas aux défis et aux chocs que nous allons connaître sans ces réformes indispensables.
Est-il envisageable de financer un "bon déficit" par un emprunt auprès des Français ?
On peut envisager de lancer un emprunt pour répondre aux besoins liés à l'éducation ou à la recherche, indépendamment des déficits imputables à la dépense budgétaire courante. Mais nous n'en sommes pas là et ignorons comment Nicolas Sarkozy compte venir à bout du "mauvais" déficit. Quant à lancer un emprunt populaire, il faut d'abord se demander quels Français - aujourd'hui souvent endettés - disposent du pouvoir d'achat suffisant pour y souscrire.
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