Bonjour à tous, voici la tribune que j’ai publié dans Marianne cette semaine, cliquez ici pour le retrouver en ligne.
Bonne journée.
Sarkozy, la morale et la gauche
Affaire Polanski, affaire Mitterrand, affaire du fils héritier, les vents médiatiques, comme un coup du sort, semblent s’acharner sur l’édifice sarkozyste. Certains prétexteront qu’il s’agit là de simples péripéties et pourtant, à mesure que le sable s’efface au passage du vent, les fondations de la maison Sarkozy laissent entrevoir leur bois vermoulu.
L’homme providentiel, celui qui déclarait en 2007 vouloir être « le candidat de cette France qui souffre et non celui des appareils [ou] des élites », celui aussi qui voulait tordre le cou à Mai 68, celui, encore, qui voulait redonner la main à la France qui se lève tôt, celui, toujours, qui sanctifiait le mérite et la valeur travail, laisse, tel un mirage, un goût de soif aux Français. Empêtrés dans la crise, ils sont déboussolés. Une à une, les valeurs cardinales, sur lesquelles leur confiance reposait, disparaissent.
C’est le cas, d’abord, du rapport à la vérité. S’il faut reconnaître au locataire de l’Elysée une capacité certaine à ne pas s’économiser, les Français commencent à prendre la mesure des limites de sa méthode. Elle consiste à surinvestir l’espace médiatique en ouvrant simultanément tous les chantiers de la réforme, et ce, au prix des plus grands raccourcis avec une réalité toujours complexe. Il en va ainsi de toutes ses initiatives superficielles, en réaction aux faits-divers, qui ne s’attaquent pas au cœur des problèmes. Les exemples sont légions. Dernier en date, la résurrection du fichier Edvige alors que son bilan en matière de sécurité est calamiteux, mais on se souvient aussi de Gandrange, de ses engagements à l’emporte-pièce, ou des points de croissance arrachés « avec les dents ». L’inflation des promesses a entraîné une démonétisation de la parole du chef de l’Etat.
Vient la justice sociale. La gauche dénonce depuis longtemps les désastres de sa politique fiscale avec ses franchises médicales, sa taxation des accidentés du travail qui ne sont que les variations d’un même péché originel : le bouclier fiscal. Aujourd’hui, c’est sa propre majorité qui remet en cause ce mécanisme qui exonère les plus aisés de tout effort, alors qu’on en demande toujours plus aux ménages modestes.
Il y a ensuite le rapport à l’impartialité : pour reprendre la sentence-héritage de Camus, « un homme, ça s’empêche !». Elle est d’autant plus impérieuse pour un Chef d’Etat. Ainsi, l’affaire Clearstream a révélé l’incapacité d’un Nicolas Sarkozy à s’effacer devant la neutralité que sa fonction exige vis-à-vis de la justice.
C’est cette même inclination qui l’a trop longtemps empêché d’accepter une autre évidence : hisser son fils de 23 ans à la tête du premier quartier d’affaires européen a été une faute morale et politique. Malgré le désistement de Sarkozy fils - si talentueux soit-il -, c’est aussi le rapport au mérite, socle de la campagne de 2007, qui a été ébranlé.
Enfin, le rapport aux mœurs et à la responsabilité individuelle. Dans l’affaire Polanski-Mitterrand, il est désespérant de voir au prix de quelles contorsions le serpent de la mauvaise foi s’enroule autour de l’évidence. On tente de cacher le viol d’une mineure ou l’appropriation d’un corps par l’argent derrière les panneaux des libertés sexuelles, de la lenteur d’un système judiciaire, de la menace d’un retour à l’inquisition homophobe ou de l’avènement d’une société de la pureté éradiquant la différence et l’écart. Mais un viol ou l’achat d’un corps, sont-ils des « écarts » que l’on pourrait classer dans la catégorie « vie privée » ? Non !
Ces petits arrangements systématiques avec les valeurs déroutent les Français. Ils révèlent qu’il n’y a pas « un » Sarkozysme mais « des » sarkozysmes multiples qui se contredisent et s’annulent entre eux. Le candidat de 2007 qui avait fait de la transgression des élites sa marque de fabrique et ouvert un pont avec les Français les plus modestes, est devenu un OVNI - Objet aux Valeurs Non Identifiées.
Un boulevard pour la gauche, alors ? Pas encore. Car tel le chat qui craint l’eau froide, elle répugne encore à penser deux choses.
La première, c’est la morale. Notre héritage libertaire nous fait souvent emprunter la voie de l’angélisme et du relativisme culturel pour lesquels toute morale est bourgeoise. A l’inverse, la morale populaire serait le lit de l’extrémisme. Bas les pattes, hommes de gauche ! Mais les extrémismes ne sont pas dangereux parce qu’ils pointent des problèmes, ils le sont parce qu’ils dévoient leurs solutions !
La seconde, c’est le rapport complexe entre l’élite et le peuple. La gauche, historiquement, l’a toujours envisagé à travers le vieux filtre marxiste de la lutte des classes, aujourd’hui dépassé suite à l’éclatement du salariat. Il faut le réinventer en l’adaptant aux temps nouveaux. Et le faire d’autant plus vite qu’avec la technique de l’ouverture, un attelage hétéroclite voit le jour et désoriente les Français de droite comme de gauche. Cet attelage, c’est celui du sarkozysme des puissants, de l’argent et des médias, associé à la « gauche mondaine » façonnée, elle, par le libéralisme culturel. Il s’est illustré dans l’affaire Mitterrand.
Un divorce s’installe donc sur la base du sentiment que les élites contournent les règles de la morale quand les Français, eux, sont constamment rappelés à leurs responsabilités dans la vie quotidienne par leur banque, leur police, leur justice…
Il nous appartient, alors, de dépasser nos tabous afin de retrouver ce sens du peuple si vital à la gauche. Repenser notre rapport aux valeurs populaires sur l’autorité, la sécurité, le travail et, au-delà, sur toutes les questions de société, redéfinir une morale républicaine mariant vérité, impartialité, justice sociale et responsabilité, voilà les clefs qui nous mèneront à la victoire en 2012.