Nous sommes à environ 80 jours du 1er tour de l’élection présidentielle. Je donnerai régulièrement dorénavant mes impressions de campagne sur ce blog et je souhaite qu’elles suscitent des réactions et des commentaires.
Je suis en campagne essentiellement dans la 1ère circonscription où il s’agit aussi d’assurer la plus large réélection de Manuel VALLS et je participe activement au comité de campagne départemental pour Ségolène ROYAL.
J’y côtoie d’ailleurs des socialistes rassemblés, mobilisés pour la victoire. Ce n’était pas donné d’avance dans cette Fédération socialiste au caractère si trempé… C’est pourtant le cas et je ne m’en étonne d’ailleurs pas. L’enjeu est si important et la volonté d’effacer l’affront du 21 avril 2002 si forte.
Mon impression du jour porte sur le décalage que je ressens entre ce que je vis sur le terrain et le flot des commentaires et des sondages qui alimentent la campagne nationale. J’ai le sentiment qu’il y aurait comme 2 campagnes qui s’ignorent. L’une au contact des citoyens et l’autre faite à coups de sondages.
Je sais que c’est faux. Si les sondages ne donnent jamais le résultat d’un vote, surtout si loin du jour de l’élection, ils reflètent une opinion, une tendance. Elle est toujours réversible mais elle est là. L’inédite montée en puissance de Ségolène Royal jusqu’à la fin de l’année 2006 marque le pas. Nicolas Sarkozy fait l’unité de son camp et démarre en trombe. Le Pen, toujours sous estimé, reste en situation de marquer une nouvelle fois ce 1er tour. Et si une élection ne ressemble jamais à la précédente, je constate que François Bayrou connaît le même début de campagne que Chevènement en 2002.
REBONDIR
Ce n’est pourtant pas ce que je ressens. Certes, nous sommes dans une circonscription de gauche. Les socialistes sont en campagne ; les autres pas du tout, ni à droite ni à gauche. Mais comme au 1er tour il s’agit d’abord de mobiliser son électorat, c’est un bon terrain d’évaluation. Eh bien je trouve les électeurs de gauche bien mobilisés, réceptifs et pas du tout prêts à gober les « ruptures » de Sarkozy ou ses références à Blum et Jaurès… qui ne sont d’ailleurs pas le références quotidiennes des électeurs des quartiers populaires !
Alors pourquoi ce décalage ? Après tout les gens que je rencontre sont les mêmes que ceux qui sont sondés.
Je crois d’abord qu’ils nous voient à l’œuvre, quotidiennement, sur les problèmes concrets qui les taraudent : la sécurité, le logement, l’école, l’emploi et les transports. Oui, mais, direz vous, c’est vrai partout où la gauche dirige. Pas si sûr, notamment sur les questions de sécurité… Je crois aussi qu’il nous faut aller au-delà d’un sentiment global. J’ai lu dans la presse ce week-end plusieurs papiers sur l’opinion des habitants des quartiers dits difficiles. Ils correspondent bien à ce que vois à Evry et qui commande notre plus grande vigilance : au delà d’une opinion qui s’exprime sur tel ou tel aspect de la campagne de Ségolène Royal, il n’y a plus d’identification mécanique entre ce que l’on vit et ce que l’on vote. En clair, la vie difficile dans tel quartier d’Evry ne conduit pas automatiquement au vote à gauche ou à l’extrême gauche. Sarkozy peut se faire « karchériser » chez les jeunes et faire un tabac sur la question du pouvoir d’achat, du mérite, de l’effort et du refus de l’assistanat.
Ne croyons pas que le renouvellement qui vient de s’opérer dans les candidats, au PS comme à l’UMP, efface comme par miracle des années de crise de la politique et de perte profonde des repères qui structurent les comportements électoraux.
Je n’ai aucun doute sur les capacités de Ségolène Royal de rebondir et de repartir de l’avant. Je pense simplement que les socialistes doivent maintenant mener de front 2 objectifs :
· Enoncer clairement leurs grandes priorités sociales et économiques, à la lumière des milliers de débats participatifs dont le succès est incontestable.
· Eclairer davantage le choix de société qui est devant eux. Nous avons trop laissé la droite nous traiter de conservateurs attardés parce que nous croyons aux services publics, à la solidarité, aux règles qui doivent encadrer l’économie capitaliste de marché, au droit du travail, aux droits sociaux. Nous devons hausser le ton, pas la voix mais le niveau de nos critiques sur le vrai programme de Sarkozy.
Il a un vrai projet de rupture avec ce qui constitue le modèle social et républicain de notre Nation. Il ne s’agit pas de le diaboliser ; il s’agit de l’affronter pour que les Français choisissent en toute connaissance de cause.
LE VRAI PROJET DE SARKOZY
· C’est d’abord une rupture avec tout ce que la société a construit pendant des décennies : le capitalisme classique mais avec de fortes régulations. Protections sociales, code du travail, services publics, fiscalité, et l’ensemble des conquêtes pour plus d’égalité, de solidarité, de liberté, à travers l’école, la culture, l’évolution des mœurs, etc.
· Ces systèmes de protection et de redistribution entraveraient le libre épanouissement de l’individu, paralyserait l’Etat, empêcherait d’atteindre un « optimum » économique et social fondé sur le fameux « qui veut, peut ».
C’est une vision faussement libre mais vraiment inégalitaire de l’issue à la crise. Il s’agit de donner toutes les chances à ceux qui « veulent », en supprimant pour cela toutes les entraves – sociales, fiscales, publiques – et contraindre tous les autres, y compris par l’exclusion sociale, voire du territoire, à accepter que la société est ramenée à son état « primitif » : une somme d’individus régis par un « ordre naturel » dans laquelle il suffirait de faire un effort pour s’en sortir.
Ce qui rend exceptionnel le rendez vous électoral de 2007 c’est d’abord que pour la 1ère fois depuis un quart de siècle, la droite affirme son choix de société avec autant de cohérence et de force. Certes, cette vision anxiogène peut susciter peurs et rejet mais elle séduit aussi. Le pari de Sarkozy est d’opérer une synthèse entre l’exaspération populaire (exprimée par l’abstention aux élections depuis 1988 ou le vote grandissant pour Le Pen) et l’aspiration à un autre avenir que la poursuite au fil de l’eau de ce qui fonde les alternances politiques depuis 25 ans.
Il y a trois grandes raisons à cette situation :
1) Les anciens cadres de solidarité et de promotion individuelle et collective ont explosé : la cellule familiale malmenée, l’école qui ne fait pas marcher ascenseur social et ne garantit plus les diplômes utiles pour entrer dans vie active, explosion du cadre de travail (précarité généralisée, sous emploi au regard des diplômes, chômage de masse dès début vie active, inégalités hommes femmes au travail, etc), l’affaiblissement des syndicats (pas de grande négociation collective depuis des décennies !), l’ évolution ségrégative de la ville (logements sociaux, ghettos urbains), la montée du communautarisme par l’essoufflement du modèle français d’inclusion sociale, civique et économique.
2) L’essoufflement du système de production des richesses, de protection sociale et de redistribution issu des conquêtes de la Libération et des 30 glorieuses. Les solidarités familiales, de classe, celles forgées par un Etat fortement régulateur et unificateur apparaissent à bout de souffle.
3) De nouvelles angoisses collectives qui obscurcissent la confiance en l’avenir.
-Mondialisation : contre les emplois, les entreprises et favorisant l’immigration massive. Le sentiment d’être doublement perdants.
-L’Europe qui ne protège pas et qui s’aligne sur les dogmes de la mondialisation.
-Le Monde beaucoup plus dangereux qu’hier. L’affrontement entre ennemis héréditaires a disparu mais de nouveaux risques pour la sécurité du pays et des personnes se font jour avec la menace permanente du terrorisme à grande échelle, peut être pire encore que la période de guerre froide qui apparaissait « maîtrisée ».
Dans cette situation internationale, il ne faut pas prendre les positions de Sarkozy à la légère ou pour simples dérapages. Il fait sienne la thèse bushiste du « choc des civilisations » et de l’évolution des relations internationales qui se fonde sur l’inéluctabilité d’un affrontement entre pays développés, industrialisés, démocratiques et l’ensemble du monde islamique. C’est également un renoncement à faire de l’Europe un espace politique doté d’une politique économique et extérieure capable de jouer un rôle de partenaire autonome et exigeant, qui pèse réellement dans la résolution des problèmes de la planète et des conflits.
A nous de convaincre que nous pouvons nous engager dans un autre chemin sans renoncer à nos valeurs et à notre identité. J’y reviendrai très bientôt mais j’attends vos avis.
Soyons participatifs !
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