Comme le disait souvent Francky Vincent, un poète trop rapidement oublié : "il n'y a pas que les élections dans la vie, il y a la politique aussi".
Je vous soumets donc un texte de réflexion peut-être un peu indigeste en format blog.
Pour ceux qui souhaiteraient profiter d'un confort de lecture sur papier, cliquez ici pour la version pdf.
L'élection présidentielle de 2007 marque un tournant majeur dans la représentation des courants politiques qui structurent la vie du pays depuis plus de 30 ans.
La très forte mobilisation électorale, aux deux tours de l'élection, a tout d'abord consacré les forces politiques de gouvernement – 3/4 des électeurs se sont prononcés au 1er tour pour l'UMP, le PS ou l'UDF – et s'est traduite par un très fort recul des extrêmes.
La campagne de Nicolas Sarkozy a permis d'opérer un transfert massif de voix de Le Pen vers lui ; la volonté d'éviter le risque d'un nouveau 21 avril 2002 a renforcé le vote utile à gauche en faveur de la candidate socialiste.
Mais c'est l'écart créé entre les dynamiques politiques à droite et à gauche qui doit faire l'objet d'une réflexion approfondie.
A droite, l'élection présidentielle a fait gagner la stratégie de Nicolas Sarkozy d'unification (de synthèse) des 3 courants historiques de la droite française : le courant libéral d'essence orléaniste, le courant autoritaire de souche bonapartiste et le courant réactionnaire, conservateur et populiste qui veut prendre sa revanche sur 1968. L'avenir proche et les actes du gouvernement Fillon en diront plus sur le caractère durable ou essentiellement tactique de cette stratégie. Quoi qu'il en soit, force est de constater que c'est la première fois depuis 1969 qu'une élection présidentielle marque une telle hégémonie du candidat UMP et qu'elle se fonde sur une véritable hégémonie idéologique (74 : Giscard d'Estaing contre Chaban Delmas ; 81 : Giscard d'Estaing contre Chirac ; 88 : Chirac contre Barre ; 95 : Chirac contre Balladur).
Le mouvement à gauche a été symétriquement opposé. D'abord, le 1er tour de l'élection présidentielle a mis la gauche à son plus bas niveau depuis 30 ans – moins de 37% – en dessous même du 21 avril 2002 – plus de 42% – alors que sa dispersion lui avait été fatale. Le score de Ségolène Royal le 22 avril (26%) ne doit pas cacher qu'il est, certes, le produit d'une forte mobilisation de l'électorat populaire mais encore plus d'un vote utile qui a littéralement aspiré une bonne part des autres votes de gauche et des Verts. Toute comparaison avec le score de François Mitterrand en 1981 est donc illusoire et fausse. D'abord parce que le PC obtenait encore plus de 15% au 1er tour, ensuite parce que le total des voix de gauche approchait les 50% dès le 1er tour.
La faiblesse historique de la gauche s'est, de surcroît, agrémentée d'une forte dispersion en de multiples candidatures que la "petite" alliance PS / PRG / MRC n'a pas compensé. Cette situation est loin d'être imputable au seul Parti socialiste.
Partenaire historique, le PC aura très lourdement payé – et de manière sans doute irrémédiable – ses impasses politiques et ses errements stratégiques. Peut-être a-t-il cru après le NON au referendum du 29 mai 2005 que ce dernier était fondateur d'une recomposition de "la gauche de la gauche". Le triste spectacle du déchirement des collectifs anti-libéraux a montré qu'il n'en était rien.
La situation des Verts est une autre source d'interrogations. Au moment où l'enjeu écologique irrigue comme jamais toutes les problématiques économiques, sociales et internationales, ce courant politique risque de disparaître de la scène nationale, non seulement parce que les partis de gouvernement auront intégré l'écologie dans leurs projets mais aussi parce que les Verts eux-mêmes auront été incapables de faire grandir une force politique cohérente.
Reste que le Parti Socialiste a, lui aussi, pris acte très tôt de l'incapacité du reste de la gauche à nouer avec lui une alliance programmatique et électorale. Il a réalisé un accord partiel avec le PRG et le MRC. Il a déployé les initiatives en direction des Verts et du PC. Mais, face au risque d'un nouveau 21 avril, il a privilégié le rassemblement autour du vote socialiste sans pouvoir ouvrir quelque perspective d'alliance nouvelle à gauche avant le 1er tour.
Au-delà des contingences électorales, cette élection présidentielle aura éteint la force de propulsion des différentes formes d'union de la gauche que le congrès d'Epinay a lancées il y a 36 ans.
La comparaison est cinglante : la droite sort de 3 décennies de divisions et de combats fratricides lorsque la gauche – et le PS en premier lieu – apparaît en panne majeure de stratégie d'alliance, aggravée et doublée d'une inadaptation profonde de son projet politique.
Reste le courant politique du centre, dont le score élevé de François Bayrou le 22 avril crée l'apparence d'un refus de la bipolarisation et a fait croire chez certains à gauche qu'une alliance avec lui venait, à point nommé, enterrer définitivement toute recomposition à gauche et constituer opportunément l'apport indispensable pour gagner la présidentielle malgré tout.
Aussi convient-il de regarder de très près comment se constituent les 18,5% de François Bayrou. Il serait dangereux de les analyser comme un tout homogène, générateur d'une adhésion identifiée idéologiquement dans la durée. On peut, schématiquement, répartir l'électorat de François Bayrou en 3 ensembles :
· Un ensemble d'électeurs socialistes, verts, gauchistes et chevènementistes qui ont exprimé soit leur volonté de dépasser le clivage gauche / droite, soit de faire "turbuler" le système politique de manière propre et tranquille. C'est le témoignage d'une persistance de la crise de la représentation politique, notamment à gauche.
· Un ensemble d'électeurs de droite, allergiques à Nicolas Sarkozy et à la droitisation de la droite.
· Enfin, le socle traditionnel de la démocratie chrétienne française qui recouvre environ 8 à 9% du corps électoral.
Les résultats du 2nd tour ont d'ailleurs bien montré comment l'électorat de François Bayrou s'est rapidement reclassé selon ses appartenances idéologiques de départ : moins de 40% pour la gauche...
Fonder une nouvelle stratégie d'alliance du PS sur des bases aussi friables et volatiles pourrait bien constituer une opération mortelle pour la seule force de gauche qui demeure en état de marche.
Ce serait croire que François Bayrou veut sincèrement larguer les amarres à droite quand tout montre que sa seule stratégie avec le PS est le "baiser qui tue" pour dégager le terrain de 2012.
Ce serait aller chercher des modèles européens (Italie, Allemagne) de grandes coalitions impossibles à importer en France compte tenu du caractère présidentiel de nos institutions et lourdes de danger pour le PS car, ce type de coalition – telle celle en vigueur en Italie – ne peut s'engager que sur la base d'un éclatement du PS et d'une refragmentation de la gauche.
Il est donc urgent de travailler à l'ouverture d'une nouvelle perspective de rassemblement.
Ce travail est indissociable de celui sur notre projet et sur notre identité. Il ne peut pas non plus se réduire à des problèmes de dosages ou à des circonstances électorales : une pincée d'anti-libéraux ici, d'écologistes là, de centristes ailleurs, en fonction des échéances municipales et cantonales de 2008.
Ce travail doit être engagé à partir de points de repères clairs :
1. Ce qui doit être visé, c'est une synthèse des gauches et des progressistes. L'épuisement des différentes formes d'union de la gauche (programmatique, plurielle ou seulement locale) n'autorise pas à tirer la conclusion qu'une alternative d'alliance au centre doit lui être substituée.
Il y a dans la société française des forces immenses qui cherchent depuis longtemps des alternatives au libéralisme et à la mondialisation sans autre règle que celle de la financiarisation. Faute d’un cadre et d’une perspective politiques, elles sont éparpillées ou cantonnées dans des mouvements qui font de la défiance dans la politique leur identité. Au fond, l’ensemble du courant progressiste est aujourd’hui victime de sa dépolitisation. Le Parti socialiste a sa part de responsabilité dans cette situation. Autant dans les années 70/80, il avait su attirer des forces sociales, intellectuelles, jeunes qui voulaient réfléchir et travailler à l’alternance, autant il apparaît aujourd’hui puissant électoralement mais isolé, coupé du mouvement de la société, largement incapable d’en saisir les transformations. Certes, nous ne sommes pas revenus à la situation d’avant 1971. Nous sommes nombreux ; nous dirigeons de très nombreuses et grandes collectivités. Nous avons donc un terreau fertile pour aller de l’avant mais nos formes de délibérations collectives présentent des carences graves dont l’absence d’ouverture à la société n’est pas la moindre.
Nous devons travailler au rassemblement le plus large de toutes les forces qui veulent ouvrir une alternative durable à la synthèse des droites. Les seules frontières de ce nouveau rassemblement des gauches sont entre ceux qui veulent participer à cette construction dans la société et à la formation de majorités nationales et locales et ceux qui se réfugient dans la contestation ou dans le refus du clivage droite / gauche.
2. C'est le Parti socialiste qui doit être l'orthocentre de cette nouvelle synthèse. C'est le suffrage universel qui lui confère cette responsabilité.
Il a, à l’évidence, un immense travail à fournir sur lui-même : analyser jusqu’au bout les raisons de son échec dans une élection majeure qui nous a été présentée comme « imperdable » ; rectifier le non fonctionnement de ses instances, les renouveler profondément ; remettre à plat son projet en n’esquivant plus cette fois-ci les débats que nous avons à trancher dans des confrontations d’idées réelles ; choisir une direction qui ne soit plus le produit de savants équilibres mais qui s’engage sur une orientation soumise au vote des adhérents et qui s’y tienne.
Pour autant la situation de la gauche toute entière nous permet-elle de traiter nos problèmes entre nous en demandant à tous les orphelins de la gauche de bien vouloir attendre que nous les ayons réglés ; ou bien n’avons nous pas la responsabilité de mêler préparation de nos échéances internes et amorce d’un processus de dialogue avec des forces politiques, sociales, civiques qui souhaitent participer à un nouveau cadre de travail politique ?
D’où la question sensible du calendrier au lendemain des élections législatives. Commencer le nouveau cycle pour la gauche par un congrès classique du PS risque de reproduire les erreurs et les manques des congrès précédents : des synthèses au contenu brouillon et la prééminence des problèmes de leadership sur les problèmes de fond. La gauche est à un tournant de même ampleur qu'au moment du congrès fondateur d'Epinay en 1971. A l'époque il s'agissait d'unifier la famille socialiste et de l'ancrer à gauche pour permettre l'alternative à la droite. Aujourd'hui l'enjeu est de permettre au PS de refonder l'ensemble de la gauche et des progressistes. Cela appelle un nouvel acte fondateur. Celui-ci ne peut venir qu'au terme d'un processus de travail et de rapprochements, après les élections municipales et cantonales du printemps 2008.
La période qui s’ouvrira dès le lendemain des élections législatives est décisive. Elle dépend pour une bonne part de leur résultat. Une progression du PS en sièges permettrait de constituer une force, y compris pour nos débats internes. Ceux-ci doivent être maîtrisés et pensés. Il n’est pas anormal que des voix s’expriment pour considérer que le travail de refondation ne peut pas être engagé avec les mêmes équipes, ni avec le même Premier secrétaire. F. Hollande parle lui aussi de passage à une autre époque pour la direction et a de nouveau fixé un terme à son mandat. Mais comment éviter que cette question vienne entraver, une nouvelle fois, le travail de fond que nous repoussons année après année depuis 10 ans ?
Moins d’un an nous sépare de la prochaine grande échéance des élections municipales et cantonales. Dans cette courte période, la politique du gouvernement sera à l’œuvre et nous devrons faire notre travail d’opposition et de proposition dans des conditions inconnues à ce jour. Nous devrons, dès l’automne, engager notre travail de réarmement politique sur le fond et, en même temps préparer très sérieusement les échéances du printemps. Cela exclut toute possibilité d’un congrès sérieux et utile. Cela exige par contre de prendre très vite des mesures d’organisation qui nous permettent de conduire ces tâches de front.
Pourquoi ne pas envisager, par exemple :
· Une réorganisation complète de l’exécutif national autour d’un secrétariat collectif exclusivement chargé de préparer les trois échéances à venir : animation du débat, préparation des élections et organisation du congrès de 2008.
· Une mise au travail de tous les collectifs thématiques en sommeil dans le parti depuis tant d’années.
· La création d’un Comité de liaison, ouvert à toutes les personnalités et mouvements qui souhaiteront participer au travail de refondation des idées et des modes d’organisation du PS et qui contribuerait à faire de notre prochain congrès un nouveau grand moment constituant pour toute la gauche.
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