par Gaétan Gorce et Manuel Valls
Tribune publiée dans le Monde daté du jeudi 4 octobre 2007.
Alors qu'il l'avait ignoré durant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a choisi de placer le dossier institutionnel au coeur de l'agenda politique, obligeant les socialistes à préciser et à actualiser leur vision de la République. La donne est en effet différente de celle qui prévalait voilà quelques mois. En rendant plus visible le leadership présidentiel, M. Sarkozy n'a fait en vérité que tirer les conséquences inéluctables du quinquennat comme de l'inversion du calendrier qui font du chef de l'Etat le vrai chef du gouvernement et de la majorité.
Cette évolution achève en quelque sorte le processus entamé en 1958 et surtout accentué en 1962 avec l'élection du président de la République au suffrage universel. La Vème République est, depuis l'origine, un système hybride dont le versant présidentiel l'a depuis longtemps emporté sur le versant parlementaire.
Sauf à vouloir discuter du sexe des anges, la question n'est donc plus de s'interroger sur la nature exacte de nos institutions. Elle n'est pas non plus de courir après un incertain rééquilibrage des pouvoirs entre le président et le premier ministre. Non seulement parce que cette question a été tranchée par le suffrage universel, mais aussi parce que l'un et l'autre forment un tout, l'exécutif, qui cumule l'essentiel des prérogatives au détriment du Parlement. Enfin, parce que le premier ministre, quelle que soit son influence exacte sur la conduite des affaires, reste, sauf à basculer dans un régime présidentiel, le seul canal par lequel les Assemblées peuvent atteindre juridiquement et politiquement le président. C'est en ce sens d'ailleurs que le souhait de M. Sarkozy de permettre au chef de l'Etat de s'adresser aux Chambres pose problème.
L'urgence est au contraire d'obtenir, d'abord et avant tout, un renforcement de la représentation nationale de notre Parlement. C'est d'un "présidentialisme rationalisé" que nous avons besoin, juste retour des choses au regard des intentions des Pères fondateurs. Il faut d'abord définir de manière plus précise et mieux protégée le domaine de la loi défini par l'article 34 de notre Constitution. Celui-ci reste aujourd'hui soumis à l'interprétation du Conseil constitutionnel et son partage avec le domaine réglementaire relève d'une vision de la loi datée et dépassée.
Il faut ensuite rendre aux Assemblées la maîtrise de leur ordre du jour, y compris des sessions extraordinaires qui alourdissent le travail parlementaire sans en améliorer la qualité ; fixer des règles de bonne conduite qui garantissent un délai minimum entre le dépôt d'un projet et son examen. Le partage des tâches entre les commissions et l'Assemblée réunie en séance plénière devrait être revu pour que le débat public soit réservé à l'essentiel. Enfin, le régime des sessions devrait être modifié pour assurer une réelle alternance entre les périodes consacrées au travail législatif et celles utilisées par les parlementaires pour leur présence dans leurs circonscriptions, à l'instar du système allemand. Le 49.3 devrait être réservé aux seules questions budgétaires et fiscales.
Il faut ensuite prioritairement consacrer les pouvoirs de contrôle du Parlement, qui ne sont même pas mentionnés dans notre Constitution. Ces pouvoirs passent par le doublement du nombre des commissions, dont les présidences seraient confiées pour moitié à l'opposition. Afin que les investigations parlementaires perdent leur caractère exceptionnel, les pouvoirs des commissions d'enquête devraient être transférés aux commissions permanentes qui pourraient en user en toute liberté.
Le temps de parole en séance notamment lors des questions d'actualité serait partagé non plus au prorata des groupes, mais entre la majorité et l'opposition. Enfin, les nominations auxquelles procède le chef de l'Etat seraient soumises à l'approbation de l'Assemblée à la majorité qualifiée des deux tiers. On pourrait enfin imaginer que le Conseil constitutionnel soit saisi par nos concitoyens et non plus au lendemain du vote par le Parlement. Un certain nombre de ces propositions nourrissent déjà les réflexions du PS. Pour parachever cette réforme institutionnelle, il semble essentiel d'enrichir encore l'arsenal parlementaire d'un nouvel instrument : la motion de censure ministérielle. Elle permettrait à l'Assemblée de renvoyer un ministre afin de pallier l'absence totale depuis 1962 de la mise en jeu de la responsabilité gouvernementale dans son entier.
En défendant ces propositions, pour rééquilibrer les pouvoirs sans contester au président de la République le rôle accru qu'ont souhaité lui confier les Français, les socialistes se mettraient en situation de reprendre l'initiative. Ils devront aussi tirer les leçons de cette nouvelle donne institutionnelle pour eux-mêmes : il serait paradoxal de prétendre combattre les risques d'une présidentialisation du Parti au moment même où celle des institutions s'est accentuée.
L'enjeu du débat n'est pas de tailler une Constitution sur mesure pour le locataire actuel de l'Elysée. C'est d'approfondir, dans la durée, notre démocratie en conciliant efficacité de l'exécutif, revalorisation du Parlement et implication des citoyens. Soyons à la hauteur de ce défi !