Bonjour à tous, vous pouvez retrouver l’entretien paru ce jour dans Valeurs Actuelles, bonne lecture et n’hésitez pas poster des commentaires.
Bonne journée !
Manuel Valls, vos prises de positions choquent parfois dans votre camp par leur aspect décomplexé. Est-ce que, vous aussi, voulez liquider l’héritage de mai 68 ?
Je ne crois pas à ce type de rupture et encore moins à la liquidation d’un héritage. Un pays se construit avec les zones de lumière et d’ombre de son histoire. Qui va se plaindre par exemple que la liberté sexuelle ou la place de la femme dans nos sociétés aient progressé grâce à mai 68 ? Je fais partie d’une génération qui considère ces acquis comme faisant partie du patrimoine génétique de notre nation, mais qui aspire aussi à d’autres valeurs. Sur certains sujets, l’héritage de mai 68, l’aspiration libertaire, ont fait emprunter à la gauche la voie de l’angélisme et d’un certain relativisme culturel. La génération qui se revendique de mai 68, et qu’on retrouve à la tête d’entreprises, dans le milieu médiatique et culturel, forme ce que j’appelle la « gauche mondaine ». Très permissive sur un certain nombre de sujets de société, elle ne s’aperçoit pas des coupures entre ce qu’on appelle les élites et le peuple. Elle s’est illustrée récemment sur l’affaire Mitterrand.
Vos valeurs à gauche ne sont donc pas vraiment libertaires, quelles sont vos références historiques ?
Je viens d’une famille espagnole, républicaine, catalaniste, catholique, antifranquiste, dont la référence essentielle est l’antitotalitarisme. A la fois contre le franquisme et aussi contre le communisme. Dans ma culture politique ces références là comptent. Il y a d’abord Koestler, le « testament espagnol » ou « le zéro et l’infini », pour son témoignage très fort sur le totalitarisme, Camus, « l’homme révolté », parce c’est lui qui a raison contre Sartre, et puis Soljenitsyne parce qu’il dénonce le goulag, et qu’il est mal accueilli par l’intelligentsia de gauche. A l’époque, jeune lycéen, je me retrouve dans ce que disent Aron et les nouveaux philosophes, Bernard Henri Levy ou André Gluksman, qui font de la question totalitaire l’élément principal de leur réflexion.
Elles sont en tout cas très littéraires. Est-ce une façon d’envisager la politique ?
Oui, je le crois, même si les références historiques sont évidemment pour moi importantes. Je pense par exemple au livre majeur de Fernand Braudel sur la méditerranée au temps de Philipe II, ou sur ce qu’il a pu écrire sur la France et son identité. Mais le roman est une formidable projection sur nos sociétés. C’est vrai sur la France au XIXème siècle à travers Zola où sur la société bordelaise chez Mauriac.
Vous avez souhaité que la gauche s’empare du débat sur l’identité nationale. Etant né espagnol, la question doit vous tenir particulièrement à cœur. Quelle est votre vision de cette identité que vous avez choisi d’adopter en 82 ?
Je suis né espagnol, à Barcelone, d’un père espagnol, d’une mère suisse italienne. J’ai une double culture, parce que je parle catalan avec les miens, et en même temps je me sens profondément Français, parce que l’école m’a appris à le devenir, et que mes parents l’ont souhaité. C’est la raison pour laquelle, je faisais référence à Fernand Braudel : on ne peut pas définir l’identité nationale de manière caricaturale, pontifiante, et encore moins en quelques mots. Je reste convaincu qu’on devient Français parce qu’on adhère à des valeurs. C’est le plébiscite quotidien de Renan. On adhère à cette nation parce qu’on le souhaite. Et, précisément, parce que j’ai appris à être Français, je considère que la gauche doit se réapproprier cette question.
On pourrait vous accuser de cautionner une diversion…
Le pouvoir est face à des difficultés : Clearstream, le débat autour de Fréderic Mitterrand, celui autour de Jean Sarkozy qui a fait des dégâts considérables, la situation économique et sociale. De manière assez caricaturale, il tente de faire diversion. Mais il ne faut pas refuser le débat par principe. C’est l’occasion de dire au chef de l’Etat : vous affirmez une conception très étriquée de l’identité en la reliant à la terre. A gauche, nous devons être porteurs d’une conception ouverte de la nation. Je suis favorable à une immigration régulée, contrôlée et en même temps nous devons affirmer que l’immigration peut être une chance pour notre pays. Il faut trouver une nouvelle voie entre le raidissement de la droite et le discours traditionnel de la gauche compassionnelle qui pense qu’en étant seulement généreux on résout les problèmes.
Quelle est votre jugement de la politique migratoire actuelle du gouvernement ?
Qui peut croire un seul instant que l’expulsion de trois afghans sert de politique d’immigration et que la fermeture de la jungle - comme pour Sangatte - va régler les problèmes que l’on connaît dans tout le nord de la France, de Calais à Cherbourg en passant par Paris ? La politique du chiffre sans critères menée par Eric Besson est un échec. Elle a un coût exorbitant sans rien régler des problèmes d’immigration auxquels notre pays est confronté. Son budget est estimé à 675 millions d’euros, c'est-à-dire 27 000 euros par personne si l’on considère l’objectif gouvernemental de 25 000 expulsés. Tout cela passe par une politique non avouée de régularisation de la plupart des sans papiers parce que ce n’est pas vrai qu’on réussira à les expulser par dizaine de milliers.
On vous a reproché vos propos sur le manque de ”blancs” dans certains quartiers d’Evry. A droite comme à gauche, sentez-vous une tentation d’accepter le communautarisme ?
Notre modèle républicain est en crise parce que la ghettoïsation des populations qui habitent dans les quartiers populaires fait des dégâts considérables. Peu de responsables politiques prônent un modèle communautariste en France, mais il y a quand même la tentation d’accepter cette situation – par lâcheté, inconscience ou cynisme -, par des maires de gauche comme de droite à travers la politique des « grands frères » ou des réseaux religieux. Je prends un exemple bien précis : lorsque Nicolas Sarkozy était ministre de l’intérieur, il a eu la tentation de traiter la question des banlieues à travers l’organisation du culte musulman quitte à soutenir la frange radicale à travers l’UOIF. Je suis particulièrement favorable à ce qu’on soutienne et développe un islam de France mais ne faisons pas croire qu’on règle ainsi le problème de l’intégration. Il faut être intransigeants face à toute ambiguïté communautariste, source de morcellement de notre société et donc de confrontation, en remettant en mouvement le modèle français républicain qui passe par l’école, le mérite, le travail, et consacrer des moyens considérables pour casser les ghettos.
Vous avez fait de l’autonomie individuelle un de vos sujets de prédilection vers lequel la gauche devrait évoluer. En quoi est-ce une ligne de clivage avec la droite ?
Le sujet majeur de clivage entre la droite et la gauche reste, pour moi, l’idée qu’on se fait de l’origine des inégalités entre les hommes. Au fond, pour la droite, les inégalités sont naturelles, et pour la gauche elles sont dues au contexte social et culturel. Cependant l’aspiration individuelle s’est fait jour au court de ces quarante dernières années. La gauche doit être capable de sortir d’une réponse collective standardisée – je pense aux 35heures -, pour aider chaque homme à se frayer son propre chemin. D’où la priorité à l’école et à la formation.
Face à une droite qui se cherche sur les questions de mœurs, comme on l’a vu avec les affaires Roman Polanski et Fréderic Mitterrand, incarnez vous la nouvelle gauche morale ?
Je souhaite incarner une morale républicaine qui n’a rien à voir avec le moralisme ! Il est nécessaire de repenser le rapport de la gauche à l’autorité, à la sécurité, au travail, aux questions de société. Elle doit porter une morale républicaine alliant la vérité, l’impartialité, l’éthique, la justice sociale et la responsabilité individuelle. On assiste à un divorce entre les Français qui voient des élites - on l’a vu a travers la crise bancaires ou sur les problématiques de mœurs - qui contournent les règles auxquelles eux-mêmes sont constamment rappelés. Ce divorce est dangereux pour l’équilibre de notre société. Un exemple d’actualité : Comment peut-on regretter, sinon pour des raisons affectives, qu’un juge renvoie un ancien président de la République devant les tribunaux ? Dans le pays de Montesquieu il ne peut pas y avoir une justice pour les puissants et une autre pour les faibles.