J’ai participé le 14 Décembre 2007 à une réunion de travail entre militants et responsables du Parti socialiste qui était consacrée à l’examen de la situation politique dans le pays et dans la gauche. Chargé d’en faire l’introduction, j’ai le plaisir de la livrer à votre réflexion et à vos commentaires. Bonne lecture !
Nous sommes à 3 mois des élections municipales et cantonales. Leur nature locale est évidente et c’est d’abord l’engagement des socialistes et de leurs candidats sur le terrain, leur capacité à rassembler la gauche, les écologistes et l’ensemble des forces de progrès qui en feront un point d’appui précieux pour les Français qui supportent de plus en plus mal la politique du pouvoir. Mais l’ampleur nationale de ce scrutin n’échappe à personne. Elle n’échappe pas, d’abord, au Président de la République et à l’UMP qui redoutent que ce rendez vous démocratique constitue un premier revers moins d’un an après le début de son quinquennat. Il le prépare donc avec soin. A tous les socialistes d’en faire autant, tant il est vrai que leur unité, la clarté de leurs positions, leur esprit collectif, l’image de dynamisme et de détermination qu’ils doivent renvoyer aux millions d’électrices et d’électeurs de gauche seront décisifs pour la mobilisation de ceux-ci dans les urnes les 9 et 16 Mars prochains.
Puisque tel n’est pas encore le cas, il nous semble être de notre 1er devoir dans la période présente de contribuer à un ressaisissement général du Parti pour qu’il soit sans plus tarder à la hauteur de ses responsabilités de 1er parti d’opposition et d’alternance. Notre souci premier n’est pas d’être sous la lumière des projecteurs pour refaire à l’infini le match de la présidentielle ou pour prendre nos marques dès maintenant pour 2012, c’est de jouer collectif et d’agir en constructeurs.
Pour injuste qu’elle puisse paraître, l’idée martelée dans les médias – qui, certes, amplifient, déforment et caricaturent mais qui n’inventent rien ! – selon laquelle les socialistes sont sur-occupés par leurs querelles internes et leur problème de leadership en deviennent inaudibles, voire inutiles – au point que certains en appellent à leur dissolution – a pénétré dans l’opinion. Nous rencontrons tous les jours des adhérents et des sympathisants, des hommes et des femmes de gauche inquiets, déboussolés, excédés. Ils veulent débattre mais ils sont profondément lassés des déchirements.
On peut, certes, s’interroger. Fallait-il, après un nouvel échec à la présidentielle et à la législative, accélérer le calendrier par la convocation d’un congrès extraordinaire ? Comme si nous aurions pu, en quelques mois, trancher les questions de fond, de stratégie, de fonctionnement et de leadership que nous n’avons pas pu ou su résoudre entre 2002 et 2007. Nous demeurons persuadés que, sauf à vouloir entraîner le Parti dans la spirale infernale de la personnalisation à outrance et de la présidentialisation de son organisation, nous avons besoin de temps pour nous mettre au clair dans le travail de novation que nous engageons et pour préparer l’alternative. A condition, bien sûr, que nous l’utilisions à bon escient dans un esprit de loyauté et de franchise.
C’est ce à quoi nous nous employons, pour ce qui nous concerne, en prenant par exemple notre part dans le travail des Forums de la rénovation. Nous en connaissons les limites de préparation et d’organisation mais ils contribuent utilement à réactiver le travail intellectuel du Parti qui a tant fait défaut ces dernières années et qui sera indispensable pour la préparation du prochain congrès. De même, nous sommes très investis, grâce à Daniel Vaillant, dans la mise en place du comité de liaison de la gauche dont il ne faut pas magnifier les effets mais qui constitue aujourd’hui le seul cadre de dialogue entre partis de gauche.
Bref, dans les difficultés que traverse le Parti socialiste, mieux vaut ne pas confondre tous les temps. Celui des 3 mois à venir doit être consacré à une meilleure lisibilité du Parti pour aider nos candidats et nos militants à réussir les élections municipales et cantonales. Viendra ensuite le temps de préparation du congrès de la fin de l’année 2008 dont le contenu et l’ampleur dépendront d’ailleurs pour une part du résultat des socialistes et de la gauche en Mars prochain.
Comment pouvons-nous être utiles dans la période présente ? Sans doute en apportant notre éclairage sur 3 questions :
celle de notre rôle dans l’opposition au pouvoir,
celle de notre identité socialiste,
celle de notre stratégie politique et notamment de notre stratégie d’alliances.
ETRE AU CLAIR SUR NOTRE ROLE DANS L’OPPOSITION
L’hyperactivisme du Président de la République, sa capacité à sauter d’un événement à un autre avec comme souci premier de se mettre en scène, sa volonté de brouiller les cartes politiques peuvent encore impressionner mais ils ne peuvent plus encore bien longtemps créer d’illusions. Et ce serait un comble que le seul résultat tangible de ces 7 premiers mois d’exercice soit de faire douter le Parti socialiste et de brouiller son message ! Car pour le reste, c’est à dire pour l’essentiel de sa politique, N. Sarkozy est en train d’échouer sur la plupart des sujets.
Elu sur une promesse de changement rapide, par une rupture d’essence libérale, le choc de confiance n’a pas lieu, ni parmi ceux qui bénéficient de ses largesses, ni évidemment parmi les plus nombreux qui en subissent les effets.
C’est même l’inverse. Il s’est passé, à cet égard, un double événement assez révélateur il a quelques jours. Alors que l’Allemagne annonce un excédent record de son commerce extérieur, François Fillon annonce d’Argentine que la croissance française sera bien inférieure à 2% en 2007 et qu’elle est encore plus incertaine pour 2008. Dans le même temps où la presse dévoile que le 1er ministre est pressé de refermer au plus vite le dossier ouvert par N. Sarkozy pendant les grèves de Novembre sur le pouvoir d’achat tant il sait que les annonces sur le sujet ne produiront aucun autre résultat tangible que de lier encore plus le sort du pouvoir d’achat des salariés au bon vouloir de leurs employeurs et d’opérer un retour en arrière sur leurs conditions de travail.
Nous serions bien inspirés de concentrer notre travail d’opposition sur la démonstration qu’au delà de tel ou tel aspect de méthode ou de telle ou telle thématique particulière, c’est l’orientation de fond, économique et sociale, de la politique du pouvoir qui continue de faire décrocher la France et qui ne peut pas résoudre les problèmes structurels de la croissance nationale dans le contexte de la mondialisation.
Car dans la politique de N. Sarkozy, il n’y a rien sur la politique industrielle, sur l’emploi, sur le lancement d’une politique forte pour hisser la France dans les 1ers rangs de l’économie de la connaissance et du savoir qui est un de nos tous premiers gisements. Strictement rien pour donner à la future Présidence française de l’Union européenne un rôle d’impulsion sur les grands projets communs et sur une politique financière plus compétitive. Moins que rien pour traiter dans la durée la question majeure de la pérennité de notre système de retraites et de la préparation de l’ensemble de la société française à faire de l’allongement de la vie une dimension essentielle des décennies à venir.
Et sans faire l’inventaire de toutes les occasions manquées depuis Mai 2007, le goût hypertrophié de N. Sarkozy pour la confrontation et le rapport de forces crée beaucoup de tensions dans le pays. On l’a vu à l’occasion du conflit dans les transports en commun où il a fallu la lucidité des syndicats majoritaires pour déjouer la volonté du pouvoir non de négocier mais d’opérer un bras de fer. On le voit malheureusement une nouvelle fois dans la situation des quartiers populaires. Les évènements dramatiques de Villiers le Bel montrent que s’en tenir à la seule réponse sécuritaire – indispensable – sans jamais prendre les mesures qui s’imposent contre la ségrégation sociale et territoriale qui s’accroît inexorablement crée une situation extrêmement dangereuse.
Et il est sans doute inutile d’insister entre nous sur les dérives de la pratique de nos institutions vers un pouvoir personnel revendiqué et une confusion dangereuse entre le pouvoir politique, celui des médias et celui de l’argent.
Bref, l’idéologie, les valeurs et les pratiques dont se réclame N. Sarkozy – que nous avons analysées dans notre texte collectif de cet été – ne produisent pas de résultat tangible pour la France. Elles comportent même le risque majeur de crisper davantage encore la société française et de porter un coup à l’image de la France dans le monde comme on vient encore de le voir avec la mise en scène outrancière et nauséabonde de la réception de Kadhafi à Paris.
ETRE AU CLAIR SUR NOTRE IDENTITE SOCIALISTE
Dans cette situation, nous ne sommes pas spontanément convaincus que la priorité du moment soit, pour les socialistes, de glauser sur notre être en développant les exégèses sur l’obsolescence de la social-démocratie ou sur la notion ambiguë de dépassement du Parti socialiste. Ce sont certes des questions que nous devrons trancher au congrès. Mais il nous semble que, pour l’heure, mieux vaudrait nous concentrer sur la nécessité de fournir des points de repères clairs aux électeurs de gauche désorientés sur ce qui fonde, dans l’action, l’identité des socialistes.
C’est, j’y reviens d’un mot, l’intérêt de notre participation aux 3 Forums de la rénovation. Plusieurs d’entre nous s’y investissent comme on le verra demain sur le thème des socialistes et du marché. Anne Hidalgo et Harlem Désir y ont apporté énormément en produisant un important travail de clarification sur notre rapport au marché et à la mondialisation.
Plus qu’une introspection ou une auto-flagellation permanente, c’est dans le réel des bouleversements qui s’opèrent dans la société française et à l’échelle de la planète que nous devons nous renouveler pour montrer la supériorité du socialisme démocratique pour conjuguer solidarité et liberté, travail et épanouissement de l’individu, efficacité économique et justice sociale, nation et monde global. Rien n’indique, ni en France ni dans le monde que le courant libéral a irrémédiablement gagné la partie et que nous ne pourrions que nous y adapter. Rien ne l’indique…si nous cessons nous mêmes de penser que nous n’avons plus de prise sur le fonctionnement du capitalisme globalisé et financiarisé.
Notre pays a besoin d’une vraie confrontation démocratique sur le fond, bilan contre bilan, projet contre projet : sur la production des richesses et des revenus, sur l’enjeu social et économique du nouveau modèle de développement écologique durable, sur les priorités de la croissance européenne, sur notre capacité à donner des règles à l’économie globalisée, sur notre plus grande aptitude à faire vivre ensemble notre communauté nationale, à faire évoluer positivement les services publics et le modèle social, etc…
Sur beaucoup de ces sujets, nos élus et les collectivités territoriales qu’ils dirigent sont autant de terrains d’action où s’exerce notre identité. Nous aurions tout à gagner dans les semaines qui viennent à mettre en valeur notre réformisme… par la preuve !
ETRE AU CLAIR SUR NOTRE STRATEGIE POLITIQUE
Nous devons, enfin, être au clair sur la stratégie du Parti socialiste et en particulier sur la gauche et sur nos alliances.
L’échéance des élections municipales et cantonales fait resurgir cette question dans le contexte issu des élections présidentielles : le PS à un honorable score de 25% au 1er tour mais par captation d’un puissant vote utile, la gauche à un étiage historiquement bas, l’effondrement de nos partenaires communistes et verts – qui ont comme nous mieux résisté lors de la législative de Juin – mais qui n’incarnent plus une alliance victorieuse et le paradoxe d’un Centre qui réalise un score jamais aussi élevé à la présidentielle et jamais aussi faible à la législative et qui, depuis, s’est émietté.
Il n’en fallait pas plus – mais c’est déjà beaucoup – pour relancer le débat que nous avons déjà tranché plusieurs fois depuis la fin des années 70 sur l’alliance du PS et du Centre. Et l’on voit ici et là s’ébaucher des stratégies locales à géométrie très variable qui sont peut être le fruit d’analyses pertinentes sur le terrain mais qui concourent à l’image d’un PS déjà en difficulté sur le fond, bringueballé de surcroît sur ses appuis au gré des évènements, sans cohérence et surtout qui alimente la seule stratégie visible du MODEM qui consiste à profiter de la crise de la politique pour brouiller le paysage avec un seul objectif : affaiblir le PS tout en misant sur l’échec de N. Sarkozy pour se substituer à nous en 2012.
Nous suggérons de nous garder de toute théorisation excessive, de plaquer mécaniquement une situation atypique qui a cours dans un pays d’Europe sur notre réalité politique et de fonder une stratégie de long cours uniquement sur des circonstances.
A la différence d’autres Partis socialistes ou sociaux-démocrates, le PS français a toujours inscrit son action dans le cadre d’un système d’alliances pour conquérir le pouvoir. Plus encore qu’un moyen c’est un élément fort d’identification de son orientation politique.
La force de propulsion de la stratégie d’union de la gauche élaborée par le Congrès d’Epinay en 1971 et validée par tous les congrès socialistes depuis est, à l’évidence, épuisée. Sauf à renoncer à toute perspective d’alternance à gauche, nous avons donc besoin de penser un nouveau cycle stratégique.
Faisons le sans tabou mais avec lucidité.
De la même manière qu’en 1971, où c’est le PS et François Mitterrand qui organisent la confrontation et l’union avec le PC alors bien plus puissant que nous, c’est au Parti socialiste d’aujourd’hui de créer les conditions d’une assise politique plus large de ses alliances. Ce n’est pas à un Centre de le faire, dont on ne sait toujours pas si les idées et le projet politique peuvent converger avec le PS, ni même s’il se pose la question d’une alliance avec la gauche.
L’essentiel n’est donc pas de courir derrière ou vers un Centre introuvable, sauf à droite dans la plupart des cas, mais de concentrer nos efforts sur la construction de nos propres forces pour aimanter des alliances autour de choix idéologiques clairs.
En 1971 nous avons fait émerger, grandir et gagner le PS en grande partie par l’union de la gauche. En 2008, c’est la construction d’une puissante force socialiste qui peut faire émerger, grandir et gagner une nouvelle union des forces de gauche et de progrès.
Tout autre chemin, qui ne s’appuierait pas sur un Parti socialiste plus fort et plus influent, ne ferait que servir les objectifs de ceux qui, à l’extrême gauche ou au Centre, fondent leurs stratégies sur un affaiblissement du Parti central de la gauche.
Quelle forme devra prendre cette nouvelle union ? La réponse est très prématurée. Elle se construit dans la vie. Elle dépend de notre capacité à organiser le débat politique, à renouer les liens avec la société, à donner une nouvelle dimension à nos relations européennes et internationales entre forces de progrès qui agissent pour maîtriser le cours de la mondialisation.
En tout cas, l’idée de dépasser le Parti socialiste par la création ex nihilo, d’en haut, d’un nouveau parti dont on ne sait pas très bien s’il serait de gauche ou démocrate ne nous semble pas être la manière de prendre le problème par le bon bout. Le projet d’un grand parti de toute la gauche est sans doute l’idée neuve qui s’impose comme l’a écrit Lionel Jospin. Compte tenu de l’état des lieux à gauche, la faire grandir suppose un Parti socialiste à la fois rénové, ouvert et en ordre de marche.
Au lendemain des élections de Mars prochain, ce sera l’enjeu du congrès.
Plus qu’un congrès extraordinaire convoqué en temps de crise, nous prônons la tenue d’un véritable congrès exceptionnel, c’est à dire d’un congrès fondateur d’un nouveau cycle politique pour toute la gauche.
Nous nous réjouissons que l’idée un temps esquissée d’organiser en 2008 un congrès d’attente de la désignation en 2010/2011 de notre candidat-e à la présidentielle dont serait issue une direction intérimaire n’a pas résisté à l’examen des réalités.
Après le congrès de 2008, il restera encore plus de 3 ans au quinquennat de N. Sarkozy.
Imagine-t-on le 1er parti d’opposition organisé uniquement pour gérer des problèmes de désignation pendant cette période ? Imagine-t-on le Parti socialiste sans 1er Secrétaire véritable, démocratiquement investi à la suite d’un débat d’orientation, à qui serait substitué un collectif composé on ne sait comment, où chacun ira de sa parole propre ?
Nous n’avons besoin ni d’une présidence de parti hors-sol ni d’une forme de direction de compromis qui a ruiné le fonctionnement des Verts, mais d’un véritable leader de l’opposition jusqu’en 2012, qui ne soit pas un simple point d’équilibre interne mais qui sache faire vivre et grandir le parti dans le respect de sa culture, qui ait une vraie capacité de choix et d’arbitrage sur les idées et sur les équipes.
Cela nécessite, enfin, de nous doter d’un fonctionnement qui réhabilite le travail collectif, notamment à travers le Conseil national où doivent se dérouler de vrais débats d’orientation, le Bureau national qui doit décider, les groupes et commissions de travail où trop de talents et de matière grise sont stérilisés, les fédérations et les sections où les adhérents aspirent à agir et à participer à l’effort de réflexion ?
Nous sommes disponibles pour construire ce Parti socialiste au service de la renaissance d’un espoir à gauche.
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